Pour en savoir plus sur les principales fermentations anaérobies
La fermentation alcoolique
La fermentation alcoolique est la plus anciennement étudiée, depuis la civilisation égyptienne. Elle correspond à la transformation des sucres en alcool éthylique et anhydride carbonique. Elle est utilisee pour la fabrication de toutes les boissons alcooliques (en particulier le vin). Par le gaz carbonique degage, elle intervient dans la levee de la pate en boulangerie et en patisserie. Lavoisier montra que les quantites de carbone, d’hydrogene et d’oxygene de l’alcool et du gaz produits egalaient celles de ces elements dans le sucre consomme. Gay-Lussac, en 1810, definit l’equation chimique de la reaction globale:
La presence indispensable de levures pour la realisation du processus etait interpretee comme la necessite d’un facteur physique, mais ne jouant pas de role chimique. En 1837 et 1838, C. Cagniard de la Tour, T. Schwann et F. Kutzing publierent separement leurs observations microscopiques et conclurent que la levure est un organisme vivant qui se reproduit par bourgeonnement. Schwann nomme ce micro organisme "champignon du sucre" et considere la fermentation comme "la decomposition du sucre par ce champignon, qui en retire le materiel necessaire a sa croissance et a sa nutrition". Les "autorites" de l’epoque, Wohler, Liebig, Berzelius, s’insurgerent contre cette conception taxee de vitalisme. Selon eux, la levure devait intervenir par une action catalytique de surface ou par transmission de "vibrations moleculaires".
A partir de 1857, Louis Pasteur, appele par les brasseurs du nord de la France pour trouver les causes d’incidents de fabrication, etudia en detail le phenomene et aboutit aux conclusions suivantes: le phenomene se deroule en absence d’oxygene (anaerobiose); les levures demeurent parfaitement saines et peuvent meme se multiplier au cours du processus; ces memes levures sont capables egalement de vivre et de se multiplier en aerobiose.
Les travaux de Buchner, qui, en 1897, prepara un suc de levures depourvu totalement de cellules, mais capable de transformer le glucose en ethanol et en CO2, puis ceux de Harden et Young, qui, en 1905, fractionnerent le suc obtenu par Buchner, nomme zymase, en une partie thermostable (cozy-mase) et une partie thermolabile (apozymase), sont parmi les plus importants de ceux qui ont contribue au developpement de la biochimie et de l’enzymologie modernes. Ces travaux supprimerent la distinction, admise alors, entre ferments organises (les catalyseurs ne pourraient etre que des etres vivants) et ferments inorganises (les catalyseurs etant des extraits); ils etablirent definitivement les notions d’apoenzyme et de coenzyme ; enfin leurs prolongements, par de nombreux chercheurs, aboutirent a la mise en evidence du processus fondamental de degradation des glucides (glycolyse).
Les agents de la fermentation alcoolique sont:
– principalement les levures, champignons endomycetes, dont il existe un tres grand nombre d’especes: la plus connue est Saccharomyces cerevisiae (levure de biere), dont certaines souches sont utilisees en brasserie et d’autres en boulangerie; Saccharomyces ellipsoideus , agent de la vinification ; Saccharomyces fragilis , employe pour la seconde fermentation intervenant en champagnisation.
– des moisissures (Aspergillus , Penicillium , Mucor ).
Les tissus des vegetaux superieurs, conserves en anaerobiose, realisent aussi une fermentation alcoolique ("fermentation propre"): 100 g de pommes maintenues a 22 0C en atmosphere d’azote produisent 600 mg d’alcool, en huit jours. La pratique de vinification, dite de "maceration carbonique", correspond a une fermentation due au raisin lui-meme.
Les substrats de la fermentation sont des sucres "fermentescibles" (saccharose, fructose, glucose, mannose), qui varient selon les especes des agents de la fermentation. Deux considerations rendent compte du caractere non fermentescible de certains sucres: la membrane des cellules leur est impermeable et ne possede pas les permeases, ou systemes specifiques d’absorption, correspondantes; les cellules sont depourvues des systemes enzymatiques capables de les metaboliser. Ainsi le saccharose est hydrolyse, mais a l’exterieur des cellules, par une b-fructosidase secretee par celles-ci; le maltose est absorbe, puis hydrolyse a l’interieur. Certains micro-organismes peuvent degrader l’amidon: dans les brasseries, ce polyholoside est d’abord hydrolyse par les amylases vegetales formees au cours de la germination des grains d’orge (maltage); puis les produits resultant de cette action enzymatique sont fermentes par les levures.
La fermentation est acceleree par addition d’ions phosphate et magnesium. Louis Pasteur a precise que, dans les conditions normales, 95% seulement des sucres sont convertis en alcool et en gaz carbonique; 5% donnent des produits divers tels que le glycerol (de 3 a 5%), l’acide succinique (~0,5%), le butane-2,3-diol (~0,5%).
La fermentation homolactique
La manifestation la plus connue de la fermentation homolactique est l’alteration du lait. Certaines bacteries fermentent le lactose avec formation d’acide lactique; l’acidification qui en resulte provoque la coagulation de la caseine; ce dernier phenomene est retarde par addition de bicarbonate. Il y a fermentation homolactique quand la quantite d’acide lactique est tres superieure a celle des autres produits formes (de l’ordre de 80% des sucres fermentes). La reaction globale s’ecrit:
Les organismes responsables appartiennent surtout au genre Streptococcus et a certaines especes de Lactobacillus (L. lactis , L. Caucasicus , L. Bulgaricus , L. casei , L. plantarum ) et de Thermobacterium (T. yoghurti ). Ils fermentent en general le glucose, le fructose, le mannose, le galactose, le saccharose et le lactose.
Suivant les organismes, l’isomere optique forme est soit l’acide D (_), soit l’acide L (+), soit la forme racemique. La proportion d’acide lactique forme varie en fonction du pH (87% a pH 5, 61% a pH 9 pour Streptococcus faecalis ). Les autres produits accumules sont l’acide acetique, l’acide formique, l’ethanol. La fermentation lactique est tres utilisee en fromagerie. Les yaourts sont obtenus a partir de lait bouilli, refroidi, ensemence avec une souche definie de bacterie (L. Bulgaricus par exemple) et incube de 3 a 4 heures a 40 °C. La fabrication de la choucroute est realisee par fermentation lactique en presence de 2 a 3% de chlorure de sodium. Le processus est arrete lorsque la teneur en acide lactique atteint environ 1,5%. La fermentation lactique est favorisee lors de l’ensilage des produits agricoles, car l’acidite produite empeche le developpement d’autres micro-organismes pouvant provoquer la putrefaction des produits ensiles. La presence de ferments lactiques dans la flore intestinale est tres favorable a un bon fonctionnement de l’intestin. Enfin, au cours des processus anaerobies presidant a la contraction musculaire, le glycogene est transforme en acide lactique, lequel est ulterieurement oxyde au cours des processus aerobies. La rigidite cadaverique est due a la denaturation des proteines musculaires par l’acide lactique accumule.
Les fermentations heterolactiques
De nombreuses bacteries appartenant aux genres Lactobacillus (L. brevis , L. fermenti ), Leuconostoc (Leuc. mesenteroides , Leuc. pentosaceus ) degradent les hexoses avec formation quasi steochiometrique d’une molecule de gaz carbonique, d’une molecule d’ethanol et d’une molecule d’acide lactique. Les sucres a cinq atomes de carbone (pentoses) peuvent parfois etre fermentes et donnent alors une molecule d’ethanol et une molecule d’acide lactique. Outre ces produits, qui representent plus de 80% des sucres utilises, on obtient egalement de l’acide acetique et du glycerol. Les fermentations heterolactiques interviennent egalement en fromagerie.
Les fermentations mixtes
Les exemples precedents montrent que les produits de degradation peuvent etre varies. C’est le cas le plus frequent pour les fermentations bacteriennes. Escherichia coli , anaerobie facultatif, degrade le glucose en anaerobiose avec formation des produits suivants: acide acetique (45% du glucose utilise), acide succinique (5%), acide lactique (17%), acide formique (1%), gaz carbonique (13%), ethanol (16%), hydrogene (1%). Ces proportions varient beaucoup en fonction du pH du milieu: en milieu alcalin, l’acide formique est beaucoup plus important et il ne se degage plus de gaz carbonique.
La fermentation butyrique et les fermentations apparentees
Elles sont le fait de bacteries anaerobies strictes appartenant presque exclusivement au genre Clostridium :
– Cl. butyricum , Cl. tyrobutyricum , Cl. lactoacetophilum degradent l’amidon avec production de dioxyde de carbone (pres de 45% du glucose disparu), d’acide acetique (25%), d’acide butyrique (25%) et d’hydrogene. La gangrene gazeuse est due a l’infection, par des bacteries de ce type, de tissus non oxygenes du fait de la destruction par traumatisme de l’appareil circulatoire.
– Cl. perfringens , Cl. tetani produisent, en plus, de l’acide lactique et de l’ethanol. Cl. Pasteurianum , Cl. acetobutylicum donnent, en milieu acide, des quantites notables d’alcool butyrique et d’acetone, et, en milieu alcalin, surtout de l’acide butyrique.
Les fermentations propioniques
L’accumulation d’acide propionique est realisee par certaines bacteries, notamment du genre Propionibacterium , en utilisant des substrats varies, comme les sucres, le glycerol, l’acide lactique, l’acide malique. Cette fermentation, a partir d’acide lactique, joue un role en fromagerie (fabrication des fromages de type gruyere). Les nematodes intestinaux, comme l’Ascaris , accumulent egalement de l’acide propionique.
Mecanismes des fermentations anaerobies
L’ensemble des tres nombreuses reactions biochimiques rendant compte de la transformation des sucres en produits de fermentation est resume dans le schema ci-apres. Il n’est pas possible de le decrire dans ses details, mais il permet les commentaires d’ordre general suivants:
Le processus fondamental consiste en une oxydoreduction interne du sucre metabolise sous l’action d’enzymes. Des reactions d’oxydation portent sur une partie des atomes de carbone de la molecule catabolisee, lesquels s’oxydent (CO2, radical _COOH). Elles produisent un pouvoir reducteur (NADH2, NADPH2, [H2]), qui, au cours de reactions de reduction, transforme l’autre fraction des atomes de carbone en radicaux: _CH3, _CH2, _CHOH ou _CH2OH. De plus, des reactions de scission des liaisons carbone-carbone interviennent soit avant, soit apres les reactions d’oxydation; il en resulte que les produits fermentaires ont, dans la plupart des cas, des chaines carbonees plus courtes que celles des substrats degrades. Les reactions de reduction se situent, en general, en fin de processus.
Le pouvoir reducteur se trouve sous la forme de coenzymes reduits (nicotinamides ou flavines-nucleotides). On appelle deshydrogenases les enzymes qui catalysent les oxydoreductions. Selon les especes, ces enzymes sont differents pour un meme type de reaction et n’utilisent pas necessairement les memes coenzymes. Ainsi, selon les micro-organismes, la reduction de l’acide pyruvique en acide lactique peut se faire avec des enzymes fonctionnant directement avec le nicotinamide-nucleotide reduit (NADH), ou bien avec des enzymes du type de la flavo-proteine, le pouvoir reducteur etant alors transmis par le groupement prosthetique flavinique. Parfois, plusieurs types d’enzymes (ici la lactate deshydrogenase) effectuant la meme reaction existent chez le meme organisme, comme cela a ete demontre pour Lactobacillus plantarum .
Les reactions intervenant au debut des processus sont celles des grandes voies du metabolisme. Le point de depart est generalement le glucose-6-phosphate.
La majorite des organismes interesses possedent l’enzyme aldolase et degradent le glucose par glycolyse. Ce mecanisme aboutit a l’acide pyruvique; la reaction fondamentale d’oxydation est celle qui est catalysee par la triose-phosphate deshydrogenase et elle fournit le pouvoir reducteur sous forme de NADH2. Selon l’equipement enzymatique propre a chaque espece, l’acide pyruvique est utilise au cours de diverses reactions aboutissant aux differents produits d’accumulation caracteristiques des fermentations decrites.
Les bacteries responsables des fermentations heterolactiques ne possedent pas d’aldolase . Les premieres reactions sont celles de la voie dite des phosphopentoses ; elles consistent en l’oxydation complete du carbone no 1 du glucose-6-phosphate, avec emission de CO2, formation de pentoses-5-phosphates et de pouvoir reducteur sous forme de NADPH2 (III). Le pentose-5-phosphate est ensuite clive par du phosphate mineral avec formation d’acetyl-phosphate et de phosphoglyceraldehyde.
Le bilan energetique des differentes reactions est positif. En effet, les reactions d’oxydation fournissent suffisamment d’energie (exergoniques), et les reactions de reduction sont le plus souvent spontanees. Les processus produisent ainsi plus d’ATP qu’ils n’en consomment essentiellement au cours des reactions de phosphorylation des sucres. Ces reactions permettent la formation d’ATP et la recuperation, pour les besoins physiologiques, de l’energie liberee par les processus.
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Document modifié le
20 mai, 2010